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Centre de Minéralogie et de Paléontologie de Belgique
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Quelques réactions à l’extrémisme protectionniste.
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Par Philippe Cooreman

Préambule

En surfant sur divers sites, et surtout grâce à un ami proche, je suis tombé sur l'article écrit par un extrémiste protectionniste que je ne citerai pas ici. Néanmoins sa « prose » m'encourage à écrire une réaction, car on y retrouve entre autres les phrases suivantes :

  • « Les gisements paléontologiques correspondent à des lieux de mémoire au même titre que les sites archéologiques. »
  • « Les gisements de fossiles et de minéraux sont matière à convoitise »
  • « Une commercialisation abusive est à l'origine d'un pillage des gisements »
  • « Le commerce lucratif des fossiles et des minéraux a un double corollaire. D'une part, il encourage une prospection intensive des gisements donc leur épuisement et leur destruction. D'autre part, il est à l'origine d'un accroissement des vols constatés dans les musées et les collections publiques. »
  • « Face à une situation de pillage et de trafic illicite, bon nombre de pays d'Europe ont pris des mesures ponctuelles pour enrayer la dilapidation de leur patrimoine paléontologique et minéralogique. »
  • « C'est, en effet, à travers un patrimoine partagé que s'affirme une conscience européenne. »

Voici ma réaction à certains de ces propos que j'estime diffamatoires et mensongers, les autres tendant à présenter une version « biaisée » de la réalité !

Réaction

Que sont les gisements paléontologiques ? Tous les affleurements dont le contenu fossilifère s'avère intéressant pour la Science paléontologique.
Quels sont ces affleurements ? Mis à part certains sites naturels (falaises côtières, hautes montagnes, vallées fluviales ou glaciaires) une partie importante des sites est d'origine anthropique (lotissements, zonings industriels, chantiers petits ou grands, carrières, champs labourés, tranchées de route ou de canaux…) et donc leur protection n'est pas toujours envisageable, hormis sur une portion très restreinte de leur étendue.
Le classement d'un site ne doit être envisagé que sur une partie limitée d'un gisement intéressant, qui restera un « témoin » des formations, le reste doit toujours continuer à pouvoir être exploité soit par les entrepreneurs de carrière, les promoteurs immobiliers, ou les géologues amateurs et/ou professionnels. Si une formation s'étend sur pas mal de kilomètres carrés, il n'est d'aucun intérêt de classer le tout, une portion plus raisonnable de quelques ares sera tout aussi intéressante au point de vue scientifique et s'avèrera au moins « gérable » par les autorités.
Les fossiles sont les archives de la Vie. Mais tous les fossiles ne présentent pas le même intérêt ni la rareté requise pour être protégés. Un vertébré rarissime doit être protégé bien évidemment, soit in situ par un bâtiment en dur, soit en l'extrayant et en le présentant dans un muséum. Le laisser se détruire par érosion naturelle sur un site soumis aux intempéries est un non-sens total. Protéger quelques millions de brachiopodes du Bathonien dans les Ardennes françaises, ou les innombrables coquilles du Lutétien du Bassin parisien, pour ne citer que deux exemples, ne présente aucun intérêt scientifique ! Protégeons quelques ares de couche témoin apportant vraiment quelque chose à la Science, et pour le reste laissons les affleurements à disposition de ceux qui bien légitimement désirent collectionner une partie raisonnable de leur contenu fossile. C'est seulement à ce prix qu'un maximum de restes fossiles deviendront des « rescapés du temps et des miraculés de l'oubli » et échapperont à leur funeste autant qu'inéluctable destin qui est l'annihilation pure et simple par l'érosion naturelle ou l'activité industrielle humaine hautement destructrice de notre environnement !
L'engouement pour les minéraux et les fossiles a toujours existé, seulement ils ont longtemps été « réservés » à une classe sociale riche qui seule pouvait se les offrir ! Depuis une quarantaine d'années maintenant, les bourses tant vilipendées permettent aux classes moyennes de « rêver », de s'instruire, de posséder eux aussi un petit témoin de l'histoire du Monde ! Avec tous les effets positifs que sont la création de nouvelles vocations (combien de paléontologues professionnels ont commencé comme « simples » amateurs ou collectionneurs ?), la vulgarisation et la sensibilisation du grand public aux merveilles de la Terre (auparavant des spécimens magnifiques voire uniques étaient découverts sur des chantiers et passaient fréquemment au broyeur ignorés de tous, maintenant de plus en plus souvent les entrepreneurs ou ouvriers possèdent des connaissances qui leur permettent de repérer et de garder des pièces, lesquelles finissent sauvegardées dans des collections publiques ou privées), la découverte parfois fortuite de nouveaux fossiles inconnus en bourses (un amateur a découvert dans une caisse de matériel éocène marocain en vrac les dents d'un très vieil ancêtre de l'éléphant, puis les a léguées au Muséum), l'exposition temporaire de pièces extraites de collections d'amateurs (vu l'inaccessibilité au public de plus en plus généralisée et préoccupante des soi-disant « collections publiques »), et j'en oublie pas mal !
La commercialisation a toujours entraîné une dynamique qui a fait avancer la Science. Bien sûr les pilleurs ne sont pas une légende, ils occasionnent des nuisances, mais leur nombre est plutôt minoritaire parmi les collectionneurs majoritairement raisonnables, et il peut encore être réduit en les éduquant et en surveillant correctement quelques sites protégés, les plus intéressants, et volontairement d'une taille gérable.
La majorité écrasante des spécimens fossiles (et minéraux) vus en bourses provient de gîtes non seulement qui ne sont pas protégés, au contraire ces derniers sont menacés, et en plus ces pièces ont été sauvées parfois dans l'urgence ! Ammonites arrachées in extremis aux broyeurs des cimenteries du Poitou, oursins, requins et reptiles qui ne deviendront jamais du ciment dans le Limbourg belge et hollandais, fossiles divers et nombreux découverts lors des gigantesques travaux du TGV-Est (combien de chercheurs professionnels locaux ont surveillé l'avance du chantier et couru sur place pour saisir l'opportunité unique d'examiner le sous-sol à cette occasion ???) tous ces exemples et des centaines d'autres montrent sans appel que les bourses font plus œuvre de sauvegarde de spécimens menacés que de provoquer le pillage de sites. Lesquels sites sont bien souvent détruits à l'aide d'explosifs, de pelleteuses et de bulldozers géants ! Que l'on ne vienne pas dire que l'amateur même armé de son redoutable marteau de géologue « dévaste » et « pille » un tel site !
Les vols dans les musées sont monnaie courante en ce qui concerne les œuvres d'art, bijoux et autres objets appartenant au patrimoine culturel. Ces faits inacceptables sont néanmoins plus rares en ce qui concerne les objets géologiques, le nombre d'amateurs étant proportionnellement plus réduit. Le réel problème est souvent que les collections des institutions publiques sont laissées à l'abandon, parfois non protégées par une simple serrure et sans surveillance, elles se dégradent plus ou moins vite, quand elles ne finissent pas tout simplement au conteneur pour laisser la place à une bibliothèque ou d'autres choses jugées « plus importantes que ces tas de cailloux » ! Le manque de motivation évident de certains politiciens ou fonctionnaires qui « gèrent » des collections publiques peut expliquer beaucoup de choses…
En parlant de « pillage » et de « trafic », il faudrait tout d'abord que des lois interdisent explicitement la collecte et la vente de fossiles ou de minéraux avant de les considérer comme « illicites » ! C'est là aller un peu vite en besogne, dans notre législation tout ce qui n'est pas interdit est permis jusqu'à preuve du contraire !
Le cas des rares pays ayant pris des « mesures ponctuelles » prouve bien que la prohibition totale est la plus mauvaise des solutions ! L'Italie et l'Espagne interdisent beaucoup de choses, mais les scientifiques y entrent dans une valse de tracasseries administratives qui les handicapent pour leurs recherches et font stagner la science, sans compter l'apport important des amateurs géologues à la Science géologique dont ils sont désormais privés ! Tout ce que cela aura comme effet est que tous, nous pourrons assister au massacre de millions de fossiles et de minéraux et resterons totalement impuissants à l'enrayer…
Le prétexte de « partage du patrimoine » ne peut en aucune façon justifier des interdictions totales et des « chasses gardées paléontologiques » pour quelques « élus » scientifiques, qui de toute manière vu leur nombre limité et leurs budgets de plus en plus réduits ne sauront jamais faire mieux que de « survoler » l'immensité des sites paléontologiques existants ! Il faut au contraire encourager et éduquer les amateurs à collecter sur tous les sites plus ou moins menacés, à présenter leurs découvertes intéressantes aux scientifiques, à appeler « à l'aide » dans le cas de restes importants mais tous les scientifiques doivent avoir une ouverture d'esprit, être tournés vers la collaboration plutôt que vers la compétition à outrance, et surtout apprendre à partager les lauriers et ne pas s'approprier tous les « bénéfices moraux » de la découverte effectuée par un amateur… Il reste encore du chemin à parcourir !


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