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Centre de Minéralogie et de Paléontologie de Belgique
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Amateurs et scientifiques, suite et pas fin
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Un avis de notre ami Michel Deliens...tempéré et juste !

Les relations entre amateurs, propriétaires de sites minéralogiques ou paléontologiques et scientifiques suscitent régulièrement des commentaires de membres du CMPB qui apparaissent sur leur site Internet ( http://www.cmpb.net ). Ces avis émanant d'amateurs sont parfois très sévères. Il me semble utile et équitable de réagir en tant que personne qui se trouve de l'autre côté de la barrière, c'est à dire entant que scientifique. Deux points sont à retenir, le premier concerne l'accès aux gisements minéralogiques et fossilifères, le second a trait aux relations entre scientifiques et amateurs.

Accès aux gisements

Le problème est nettement posé. Il y a d'une part des amateurs désireux d'avoir accès aux sites sur lesquels la récolte d'échantillons est possible afin d'assouvir leur passion pour les sciences naturelles et pour la collection et, d'autre part, les scientifiques qui luttent pour la préservation de sites « historiques », ainsi que les propriétaires (publics ou privés) qui défendent l'intégrité de leurs biens. Les deux positions se défendent mais sont néanmoins compatibles lorsque les parties sont de bonne volonté.
C'est ici le moment de philosopher sur le terme amateur. La plupart des réactions négatives en ce qui concerne les mesures d'interdiction sont le fait d'amateurs dans le sens noble du terme, c'est à dire de personnes qui considèrent la recherche de minéraux ou de fossiles comme un hobby culturel et naturaliste et sportif. Ils sont compétents dans leur branche et possèdent une bonne, voire une excellente connaissance de leur sujet. Ils prélèvent un nombre raisonnable de spécimens pour compléter leur collection et respectent l'environnement. Malheureusement le terme (non protégé !) d'amateur englobe aussi des pillards de gisements qui mesurent leur efficacité au tonnage prélevé ou qui, au fur et à mesure de la récolte, comptabilisent le profit qu'ils pourront en retirer, indépendamment des dégâts qu'ils causent le long d'une route ou dans une propriété privée. Il arrive qu'après leur passage  le site ressemble à un champ de bataille, certains allant jusqu'à détruire les pièces qu'ils n'ont pu dégager ou abandonnent le long de la route ce qui n'a pu rentrer dans le coffre de leur voiture.
Il est logique que la réaction des défenseurs du patrimoine scientifique, des autorités locales ou des propriétaires privés soit violente. Les mesures d'interdiction sont alors parfois prises sans discernement ou de manières arbitraire, mais comment agir autrement dans ces circonstances ? Quelle possibilité existe pour les autorités de trier le bon grain de l'ivraie. Comment effectuer le tri des visiteurs sur le terrain et avec quel personnel ? La solution simple et radicale est donc de tout interdire. D'autant plus qu'il est impossible aux  amateurs corrects de garantir aux autorités un code de déontologie qui concernerait aussi des vandales et des incompétents qu'ils ne contrôlent pas.
Il n'est malheureusement pas possible d'apporter une solution globale et définitive à cette question d'accès sur les sites. Je pense néanmoins que grâce à des relations cordiales avec des patrons de carrière ou avec des propriétaires privés, il  est possible de se ménager  l'accès à certains gîtes. Les nombreuses excursions organisées sur le terrain par le CMPB en sont d'ailleurs la démonstration éclatante.

Relations avec le monde scientifique

Au vu des réactions mentionnées plus haut, j'ai eu l'impression que le « scientifique » était trop souvent considéré comme l'ennemi. On en parle comme d'une personne inaccessible, planant dans les hautes sphères de la connaissance et n'ayant pas de temps à consacrer aux amateurs qui solliciteraient son aide. Ce schéma est absolument erroné et ne correspond pas à la réalité, du moins en Belgique. Si on devait coller un nom de personne au terme général de scientifique travaillant dans les sciences de la Terre,  on se rendrait compte que la plupart des chercheurs classés dans cette catégorie ont collaboré ou collaborent encore étroitement avec des amateurs ou avec des cercles d'amateurs. Personnellement, pendant mes 20 ans de carrière au Musée royal de l'Afrique centrale et les 17 ans passés au Musée royal d'Histoire naturelle, j'ai eu des contacts avec des dizaines d'amateurs et effectué des centaines de déterminations minéralogiques, sans compter les nombreuses conférences données dans les cercles du pays. D'autres amateurs ont reçu le même accueil de la part des professeurs Jedwab (ULB), Charlet (Faculté Polytechnique de Mons), Piret (UCL), Fransolet (Université de Liège), Bultynck (KUL) ou Vochten (RUCA). Où se situe donc l'absence de collaboration ?
Le principe de cette collaboration est parfois même une nécessité puisqu'elle associe d'une part des amateurs qui peuvent contribuer à la connaissance du patrimoine scientifique d'une région grâce à leur opiniâtreté sur le terrain et au temps qu'il consacrent à leur passion et, d'autre part, des scientifiques occupés à d'autres missions et soumis à d'importantes contraintes budgétaires, ne pouvant dès lors consacrer beaucoup de temps à la prospection sur le terrain. Par contre ces scientifiques disposent de la connaissance et des appareillages pour aider les amateurs dans les diagnoses, leur contribution étant récompensée par la réception de matériel original pouvant alimenter leurs travaux et enrichir la collection de leurs institutions.
Le malentendu au sujet des relations est sans doute alimenté par quelques cas ponctuels, qui, à mon grand regret, sont imputables à une minorité d'amateurs. Rien de tel que de fournir un exemple personnel de dérapage relationnel qui m'a particulièrement marqué.
Un amateur (son nom n'apparaîtra pas) se présente un jour dans mon laboratoire avec un lot de minéraux uranifères pour avoir une confirmation des diagnoses? Parmi ceux-ci, une pièce était couverte de minuscules cristaux jaunes qui ne rappelaient, à première vue, aucune espèce connue. J'ai donc conservé l'échantillon et réalisé un examen aux rayons X. Il s'agissait en effet d'un spectre nouveau. Avec le peu de matières disponibles j'ai pu encore réaliser une analyse chimique et déterminer la structure du composé. C'était en effet une nouvelle espèce. Je rentrais alors dans le processus de définition complète pour faire reconnaître le minéral par les instances internationales. Cela impliquait entre autres de déterminer les propriétés optiques, la densité, la perte au poids, bref une série d'analyses impliquant de la matière. Les quelques milligrammes dont je disposais étant épuisés, je demandai à l'amateur de me fournir de matériel supplémentaire. Après beaucoup d'insistance de ma part, il finit en se lamentant par trouver quelques débris jaunes qui allaient encore restreindre le témoin qu'il conservait pour sa collection. La description put enfin être menée à bien et le mémoire fut envoyé à l'Association Minéralogique Internationale pour acceptation. Une nouvelle espèce était née. La quantité minime de matière avait exigé de travailler à la limite de la sensibilité de certains appareils et nécessité un temps considérable. Quelques mois plus tard, visitant une bourse minéralogique, j'eus le souffle coupé en reconnaissant mon amateur installé derrière une table garnie d'une dizaine de pièces renfermant la nouvelle espèce, vendues à un prix astronomique. On comprend aisément qu'une telle attitude puisse décourager la collaboration !
Un autre point important concerne la responsabilité scientifique d'une découverte. J'ai assisté récemment à de curieuses palabres dans ce domaine. Lorsqu'un amateur qui recherche la collaboration  avec un scientifique lui remet un lot de matériel à étudier, il peut arriver qu'une nouvelle espèce soit mise en évidence (voir plus haut). Cette espèce n'existe que parce qu'elle a été étudiée et définie par le scientifique. Il en résulte une publication rédigée par le scientifique qui apparemment tire tout le bénéfice de la découverte. En pratique, la personne qui a fourni le matériel participe à la découverte. Elle est en effet citée et remerciée dans le texte. Le scientifique peut aussi (ce n'est pas une obligation) associer l'amateur aux auteurs. Parfois même le scientifique dédie le minéral à celui qui l'a récolté et son nom figurera pour l'éternité dans les lexiques.
J'ai été récemment indirectement mêlé à des palabres concernant la « propriété scientifique » d'un minéral, revendiquée par un amateur qui l'avait récolté. En fait un minéral en tant qu'espèce n'appartient à personne. Il s'agit d'un produit naturel qui existait en tant que matière avant même que l'homme lui donne un nom. Un scientifique peut le décrire et lui donner un état civil mais il n'en est pas le propriétaire. Pas davantage que l'amateur qui l'a déterré. Il ne faut pas confondre le domaine des sciences naturelles avec celui des brevets. Par contre, il va de soi que l'amateur peut être propriétaire d'un échantillon porteur de n'importe quelle espèce minérale qu'il a récolté ou acheté.
Le débat est loin d'être clos mais il me semblait intéressant de donner l'avis de quelqu'un qui regarde par l'autre bout de la lorgnette tout en respectant le monde des amateurs qu'il connaît bien et au sein duquel il compte de nombreux amis.

Michel Deliens


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